DIPHTÉRIE

DIPHTÉRIE
DIPHTÉRIE

Maladie infectieuse et contagieuse propre à l’homme, la diphtérie est due au bacille de Klebs-Lœffler (Corynebacterium diphteriae ) dont l’action est double: lésions locales, congestives, hémorragiques et nécrotiques au point de pénétration dans l’organisme (la gorge habituellement) avec formation d’un réticulum de fibrine constituant la «fausse membrane» et production de toxine. La gravité de la maladie ne réside pas dans la lésion locale, sauf lorsque la fausse membrane siège sur le larynx (croup), mais dans la diffusion par voie sanguine de la toxine, ce qui détermine des lésions nerveuses, rénales, surrénales, etc., pouvant entraîner la mort. Il s’agit donc d’une toxi-infection qui frappe avant tout les enfants, spécialement entre un et quatre ans; la vaccination en a considérablement réduit la fréquence.

Historique

Décrite par Arétée de Cappadoce et Galien, la diphtérie (pour laquelle Asclépiade de Bithynie aurait pratiqué la trachéotomie dès le Ier s. av. J.-C.) fut étudiée en France à la Renaissance par Pierre Forest et par Baillou. Bretonneau, au XVIIIe siècle, distingue la diphtérie des autres angines «couenneuses»; puis Trousseau décrit les paralysies diphtériques et la forme maligne de la maladie. Le bacille responsable, observé par Klebs en 1883, est isolé, cultivé et étudié par Lœffler l’année suivante. En 1888, Roux et Yersin montrent que l’infection du seul filtrat de culture entraîne la paralysie. En 1894, Roux et ses collaborateurs mettent au point la sérothérapie et, en 1924, Ramon rend possible la vaccination par l’anatoxine diphtérique.

Manifestations cliniques

On distingue deux types de manifestations cliniques: les unes, locales, sont dues au germe lui-même; les autres, viscérales, à sa toxine.

Manifestations locales

Si le bacille diphtérique peut végéter en tous les points du revêtement cutanéo-muqueux, il affecte habituellement la gorge, le larynx et le nez; la diphtérie revêt donc ordinairement l’aspect d’une angine, d’un croup ou d’un coryza. L’angine diphtérique se reconnaît à une fausse membrane blanche, brillante, nacrée, adhérant à la muqueuse, recouvrant l’une ou l’autre amygdale ou les deux, fusant vers la luette et la paroi pharyngée postérieure. Elle s’accompagne d’adénopathies sous-angulo-maxillaires. Les signes fonctionnels et généraux contrastent par leur peu d’intensité. La seule constatation d’une fausse membrane typique impose la sérothérapie antidiphtérique sans attendre le résultat des examens bactériologiques. Dès les premières heures suivant l’injection de sérum, les fausses membranes se décollent et la gorge est nettoyée en deux ou trois jours; la guérison est rapide lorsque la sérothérapie est mise en œuvre précocement et à doses suffisantes. Si l’angine est méconnue ou le traitement tardif ou insuffisant, l’évolution est des plus graves, soit par intoxication et passage à l’angine maligne, soit par extension des fausses membranes au larynx (croup).

Dans l’angine maligne, les fausses membranes sont volumineuses, envahissantes, grisâtres ou brunâtres, hémorragiques, malodorantes, fétides. À l’entour, la muqueuse est rouge et œdématisée; le cou est déformé par les adénopathies et l’œdème périganglionnaire. L’état général est profondément atteint: le sujet est blafard, prostré, les extrémités sont froides et cyanotiques. La température peut ne pas dépasser 38 0C, mais le pouls est rapide, la tension artérielle abaissée, le taux d’urée sanguine élevé. Des paralysies localisées ou diffuses sont fréquentes. L’évolution est d’ordinaire fatale.

Le croup est dû à l’envahissement du larynx par les fausses membranes. Exceptionnellement primitif, il est habituellement secondaire à une autre localisation diphtérique survenant quelques jours après une angine diphtérique méconnue ou insuffisamment traitée. Rare chez le nourrisson et l’adulte, il affecte surtout les enfants entre deux et sept ans. Comme dans toutes les localisations diphtériques, le croup associe signes toxiques et signes locaux, mais ces derniers sont vite au premier plan: en effet l’atteinte laryngée entraîne rapidement des modifications de la voix et de la toux et l’association d’une voix éteinte et d’une toux rauque détermine le diagnostic. À ce stade «dysphonique», la sérothérapie entraîne rapidement la guérison. Non traité, le croup évolue vers l’obstruction mécanique du larynx. C’est la phase «dyspnéique», dominée par les accès de suffocation accompagnés de «tirage» ou dépression des parties molles sus-claviculaires et sus-sternales lors des efforts inspiratoires. Normale dans l’intervalle des accès, la respiration se ralentit et s’embarrasse; la dyspnée devient continue et l’asphyxie s’installe avec cyanose, épuisement et finalement coma mortel.

À côté de ces deux aspects typiques de la diphtérie, d’autres peuvent se rencontrer, soit que l’angine ait une symptomatologie atypique (angine pseudo-phlegmoneuse, angine pultacée, angine lacuno-cryptique, etc.), soit qu’elle s’associe à une autre maladie infectieuse (rougeole, streptococcie), soit que le germe ait une localisation particulière (conjonctivite diphtérique, diphtérie cutanée).

En 1951, Freeman démontre que la production de toxines par C. diphteriae est liée à la présence d’un gène tox apporté par un bactériophage approprié. Il existe donc deux types de souches: les souches non toxinogènes, capables de provoquer une angine à fausses membranes et capables de se développer chez les sujets immuns puisque l’immunité antidiphtérique est antitoxique et non antibactérienne, et les souches rendues toxinogènes par un bactériophage approprié.

Manifestations viscérales

La diffusion dans l’organisme de la toxine sécrétée par les bacilles de Klebs-Lœffler entraîne des manifestations viscérales. Celles-ci peuvent être cardio-vasculaires, rénales, surrénales, sanguines, etc., mais l’atteinte nerveuse est, de loin, la plus fréquente. Si les paralysies surviennent globalement dans 8 à 40 p. 100 des cas, elles compliquent en fait essentiellement les diphtéries sévères; exceptionnelles dans les angines diphtériques communes précocement traitées, elles surviennent dans 58 p. 100 des angines graves et 95 p. 100 des angines malignes. Elles apparaissent soit précocement entre le 7e et le 14e jour, soit tardivement entre le 30e et le 80e jour. Les paralysies du voile du palais sont les plus fréquentes, traduites par la gêne à la déglutition, le reflux des liquides par le nez, les troubles de la phonation. Les paralysies oculaires accompagnent les précédentes ou surviennent isolément. Elles affectent l’accommodation et réalisent une presbytie typique: conservation de la vision lointaine et impossibilité de la vision des objets proches. Les paralysies des membres sont flasques, diffuses et incomplètes, sans atrophie musculaire ni réaction de dégénérescence. Les réflexes tendineux sont abolis et les réflexes cutanés conservés.

Diagnostic bactériologique

La découverte, sur les frottis effectués directement à partir d’un prélèvement au niveau de la fausse membrane, de bacilles ayant la morphologie et les propriétés tinctoriales (coloration de Gram négative) de C. diphteriae , n’a qu’une valeur relative. Le diagnostic nécessite absolument l’isolement du germe par culture. Celle-ci peut être obtenue en 16 à 18 heures sur sérum coagulé, en 3 à 4 heures sur sérum coagulé glucosé, (mais ce milieu est moins sélectif), en 48 heures sur milieu au tellurite de potassium, plus sélectif et permettant l’identification des variétés de Corynebacterium. C. Diphteriae doit être différencié des bacilles pseudodiphtériques non pathogènes (C. diphteroides ), par certaines épreuves (fermentation de la dextrine, absence d’hydrolyse de l’urée), mais le diagnostic formel est fourni par la détection de la toxine soit in vitro (épreuve d’immunodiffusion en gel), soit in vivo (mort du cobaye avec des lésions hémorragiques des surrénales après injection sous-cutanée).

Traitement

Le traitement de la diphtérie repose sur l’injection de sérum antitoxique dès que le diagnostic est posé, et même sur les seules données cliniques si le résultat des examens de laboratoire demande un trop long délai: tout retard dans la sérothérapie permettrait la fixation irréversible de la toxine sur les cellules sensibles. On y associe certains antibiotiques (pénicilline, tétracycline, érythromycine, spiramycine), l’hormonothérapie surrénale, la strychnine. De plus, le croup nécessite le rétablissement d’urgence de la perméabilité des voies respiratoires: selon les cas, on pratiquera l’aspiration laryngée, le tubage (introduction d’un tube dans la glotte obstruée par les fausses membranes) ou la trachéotomie (opération permettant l’entrée de l’air par une canule introduite directement dans la trachée au niveau du cou).

Épidémiologie et prophylaxie

La transmission interhumaine de la diphtérie est possible, directement ou indirectement, à partir de malades atteints de formes typiques (angine pseudo-membraneuse ou croup, contagieuse par le souffle, la toux, l’éternuement), surtout à partir de formes frustes ou inapparentes et, plus encore, à partir de porteurs convalescents ou sains (ces derniers étant les plus dangereux parce que ignorés). La vitalité du bacille explique la possibilité d’une contagion indirecte par les objets ou les locaux contaminés. Parmi les trois variétés de C. diphteriae (gravis , mitis , et intermedius ), la première est la cause la plus fréquente d’épidémies extensives.

La réaction de Schick (injection intradermique de toxine stabilisée) permet de déterminer la réceptivité des sujets à la diphtérie. Elle est positive chez les sujets réceptifs et négative chez les sujets immuns. Traitée par le formol et la chaleur, la toxine diphtérique perd tout pouvoir pathogène, mais conserve son pouvoir antigénique: c’est l’anatoxine ou vaccin antidiphtérique. Il faut trois injections espacées de deux à quatre semaines, suivies de rappels l’année suivante, puis tous les cinq ans. Cette vaccination, remarquablement efficace, a considérablement réduit morbidité et mortalité par diphtérie, et son plus large emploi permettrait la disparition de cette maladie.

diphtérie [ difteri ] n. f.
• 1855; diphtérite 1821; du gr. diphtera « membrane »
Maladie contagieuse causée par le bacille de Lœffler, caractérisée par la formation de pseudomembranes sur certaines muqueuses (larynx, pharynx) et par des manifestations toxiques dues à la toxine bactérienne. Diphtérie laryngienne. croup.

diphtérie nom féminin (grec diphthera, membrane) Maladie infectieuse bactérienne, contagieuse, se manifestant par une angine à fausses membranes et par une atteinte générale due à la sécrétion d'une toxine. ● diphtérie (expressions) nom féminin (grec diphthera, membrane) Diphtérie aviaire, maladie contagieuse due à un virus qui attaque les volailles âgées de 5 à 12 mois et que l'on peut prévenir par un vaccin. ● diphtérie (synonymes) nom féminin (grec diphthera, membrane) Maladie infectieuse bactérienne, contagieuse, se manifestant par une angine à...
Synonymes :

diphtérie
n. f. Maladie infectieuse due au bacille de Klebs-Loeffler, contagieuse.
Encycl. La diphtérie est caractérisée par la production de pseudo-membranes au niveau du pharynx et du larynx, parfois responsables d'une asphyxie (croup); elle se manifeste aussi par des signes toxiques: paralysies, myocardite, néphrite. L'évolution peut être mortelle. La prévention par la vaccination est très efficace.

DIPHTÉRIE, subst. fém.
A.— MÉD. Grave maladie microbienne (bacille de Löffler), fébrile et contagieuse, touchant surtout les enfants et caractérisée par l'apparition de fausses membranes sur les muqueuses (celle de la gorge en particulier) et par des phénomènes d'intoxication (v. croup). Un cas de diphtérie :
Ai-je marchandé mon dévouement au plus pauvre, au plus abandonné?... La diphtérie qui a failli m'emporter, je l'avais gagnée d'une mendiante.
CUREL, La Nouvelle idole, 1899, p. 185.
Diphtérie associée. ,,Diphtérie qui survient comme complication d'une autre infection bactérienne, notamment par des streptocoques ou par des germes anaérobies`` (Méd. Biol. t. 1 1970).
Diphtérie oculaire. Atteinte diphtérique des yeux (cf. QUILLET Méd. 1965, p. 191).
B.— MÉD. VÉTÉR. Diphtérie aviaire; diphtérie des volailles. Certains microbes — comme ceux de la péripneumonie des bovidés, de la diphtérie des poules — se trouvent au seuil de la perceptibilité microscopique (J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p. 21).
Rem. On rencontre ds la docum. a) L'anc. dénomination dipht(h)érite. Diphthérite épidémique (cf. P. BRETONNEAU, Inflamm. tissu muqueux, 1826, p. 157). Diphthérite trachéale (cf. ID., ibid., p. 52). b) Son dér. dipht(h)éritique, synon. anc. de diphtérique. ) Adj. Qui a rapport à la dipht(h)érite. Inflammation, angine dipht(h)éritique. Mon confrère le docteur Burnet, le grand maître des maladies diphtéritiques (RICHEPIN, Aimé, 1893, p. 334). ) Subst. Malade atteint de dipht(h)érite. Un pauvre petit diphtéritique qui disait doucement que ça l'ennuyait de mourir (A. DAUDET, Numa Roumestan, 1881, p. 215).
Prononc. et Orth. :[]. Seule transcr. de diphtérite ds LITTRÉ et ds DG : dif'-té-'. Diphtérie est la forme mod.; elle est donnée seule ds Ac. 1932 ainsi que ds ROB., Lar. encyclop., DUB. et Lar. Lang. fr. La forme diphtérite considérée par Nouv. Lar. ill. et Lar. 20e comme un synon. de diphtérie, est donnée seule ds Ac. Compl. 1842 et Lar. 19e. Les 2 formes sont admises ds LITTRÉ et DG. Noter que ces formes sont écrites avec 2 h (sur le gr.) : diphthérie, diphthérite ds Ac. Compl. 1842, Lar. 19e, LITTRÉ et DG. Étymol. et Hist. 1. 1817 diphtérite (P. BRETONNEAU, Notice sur l'emploi thérapeutique de l'alun dans la diphtérite ds Lar. 19e, s.v. Bretonneau); 2. 1855 diphtérie. 1 diphtérite terme forgé par le médecin fr. P. Bretonneau [1771-1862] à partir du gr. « membrane », refait en diphtérie; 2 avec suff. -ie (le suff. en -ite indiquant la maladie affectant une partie du corps : bronchite, laryngite). Fréq. abs. littér. :12.

diphtérie [difteʀi] n. f.
ÉTYM. 1855; diphtérite, 1817; du grec diphthera « membrane », et suff. -ite; refait en diphtérie (suff. -ie).
Maladie microbienne (bacille de Lœffler), contagieuse, caractérisée par la formation de pseudo-membranes sur certaines muqueuses (larynx, pharynx) et par des phénomènes d'intoxication. Angine (angine diphtérique). || Diphtérie laryngienne. Croup.
Vétér. || Diphtérie des volailles, avienne.
REM. L'anc. forme diphtérite s'est employée au XIXe s. et a produit le dér. (aujourd'hui archaïque) diphtéritique (remplacé par diphtérique).
tableau Principales maladies et affections.
DÉR. Diphtérique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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